Lorsque j’ai pris la mer ce matin, j’avais le cœur gros. Je n’étais pas le seul. J’étais comme les amis de Jean- François, comme ses enfants tristes et fiers de l’accompagner une dernière fois.
J’ai pourtant aimé cette lente procession lorsque les bateaux ont quitté Dégrad des Cannes, sur cette mer de Guyane, si calme aujourd’hui. Nos bateaux filaient sur l’eau tranquillement, en silence, sans troubles visibles parmi les équipages. Si le ciel se montrait bas et lourd, celui-ci conservait pour ce dernier voyage la retenue qu’il convenait, gardant ses larmes de pluie de saison pour après.
J’ai pensé à lui durant ce voyage. Je me suis souvenu du premier jour ou je me suis inscrit à l’APPG. Jean François en était le secrétaire. C’était la première personne qui m’a accueilli au sein de l’association et qui m’a présenté aux autres membres. Il prenait son rôle très au sérieux, il était très chaleureux.
Je débutais, je ne connaissais pas le surf casting, il m’a aidé de ses conseils bourrus, j’ai résisté, je crois qu’au final en plus de la pêche, nous nous sommes appréciés. Sur Philmax avec Gilles Viot comme Capitaine nous avons fait deux saisons mémorables de pêche en mer. Nous sommes sortis ensemble les
soirs de remises des prix à la « Kampagne » et ce qui se passait la bas restait la bas.
J’ai compris aussi avec lui pourquoi je n’étais fait pour l’épreuve des 24 H de surf casting organisé 1 fois par an par le club. J’ai même détesté lorsque il m’obligeait à  changer mes crevettes sur les Hameçons toutes les 10 minutes à 4 H du matin lorsque j’ai fait équipe avec lui.
Souvent aussi il m’a invité chez lui avec son épouse Béatrice. Souvent il passait me voir aussi à la station. Souvent aussi nous nous sommes opposés, disputés, réconciliés. Souvent il me parlait
du Sénégal, de ses revers de fortune, de ses joies aussi. De ses espérances. Le tout était souvent exprimé avec conviction, force, caractère. Je pourrais aussi dire avec truculence, passion,
obstination, mais toujours avec beaucoup de chaleur, beaucoup d’humanité.
 Maintenant les bateaux sont arrivés à l’Ilet le Père. Jean François est
à destination. Les bateaux se rassemblent autour de son dernier bateau piloté par Lapin. Le ciel ouvre ses nuages, comme un hommage. Tous nous regardons filer les cendres déversées de Jean François dans la mer par son fils et sa fille comme il l’avait souhaité pour continuer à naviguer, pêcher et être vivant parmi nous. Les fleurs rouges déposées dans l’eau lentement dérivent, pour l’accompagner.
Et puis nos bateaux s’amarrent tous ensemble. Jean- François est parmi nous, lorsque les pâtés du Sud Ouest, le jambon, les rillons au piment d’Espelette, le pain, les petites bières, le vin se voient proposer aux amis. Quelques discussions s’engagent, quelques sourires s’esquissent. Nous sommes je le croie, bien d’être tous ensemble, ici face au Père, comme un symbole. Nous allons vivre bien entendu, nous allons continuer de râler, de rire, de chanter, de pêcher sans Bordille certes mais sans l’oublier c’est sûr.